Les chargés d’accompagnement TIH-Booster de Linklusion œuvrent au quotidien en accompagnant des Travailleurs Indépendants Handicapés (TIH) dans leur parcours entrepreneurial. Mais qu’en est-il des connaissances théoriques sous-jacentes à nos pratiques ?

Plongeons ensemble dans les méandres de la littérature scientifique pour explorer les fondements de notre approche. Nous pourrons découvrir les dernières avancées en matière d’accompagnement entrepreneurial.

Développement et diversification de l’accompagnement entrepreneurial : regards sur l’évolution d’une industrie

L’évolution de l’accompagnement entrepreneurial remonte à ses premières traces aux États-Unis en 1959 avec le Batavia Industrial Center. En France, ce n’est que dans les années 1980 que l’on voit émerger des structures dédiées à l’entrepreneuriat, telles que les pépinières d’entreprise, qui prennent une nouvelle ampleur dans les années 2000 grâce à la loi Allègre de 1999 (Messeghem et al., 2013 ; Degeorge, 2017). Désormais, l’accent est mis sur le soutien des projets entrepreneuriaux dans leurs premières années pour améliorer le taux de survie des jeunes entreprises, donnant naissance à ce que l’on pourrait qualifier d’une « industrie de l’accompagnement », caractérisée par une diversité d’acteurs (Messeghem et al., 2013, p.65).

Inspirés par la culture nord-américaine et le modèle des start-ups, ces acteurs prennent diverses formes, des incubateurs aux espaces de coworking en passant par les accélérateurs. Ainsi, en parallèle des pré-incubateurs au sein des universités, des structures du secteur privé comme Station F ou The Family émergent (Messeghem et al., 2020), de nouvelles pratiques d’accompagnement entrepreneurial voient également le jour ; telles que l’essaimage, notamment dans le domaine de l’économie sociale et solidaire (Ibid.). Cette évolution témoigne de la dynamique croissante de l’écosystème entrepreneurial et de son adaptation constante pour répondre aux besoins changeants des entrepreneurs.

Repenser la figure de l’entrepreneur : vers une inclusion équitable des minorités

L’accompagnement entrepreneurial, tel que décrit par Richomme-Huet & d’Andria (2013), met l’accent sur l’individu en développant ses compétences clés pour assurer le succès du projet qu’il porte. Cette approche individualisée s’appuie sur diverses pratiques telles que :

– le mentorat,

– le tutorat

– et le coaching.

Ces pratiques sont complétées par une dimension de soutien collectif à travers des réseaux d’entrepreneurs (Messeghem et al., 2013). Cependant, la standardisation des pratiques d’accompagnement soulève des questions sur leur pertinence pour les publics minoritaires.

En examinant le cas des femmes entrepreneures, Richomme-Huet & d’Andria (2013) soulignent qu’elles représentent à peine 5 % des bénéficiaires des incubateurs et des pépinières, principalement en raison de la concentration des projets dans des domaines technologiques et biotechnologiques à dominante masculine. Les pratiques standardisées de l’accompagnement entrepreneurial révèlent alors des biais dans le public cible et soulèvent la nécessité de repenser les méthodes d’accompagnement pour tenir compte des particularités individuelles des entrepreneurs.

Ainsi, au-delà de l’analyse purement objective des projets entrepreneuriaux, se pose la question cruciale de l’évolution des pratiques d’accompagnement pour mieux prendre en compte les spécificités des individus et favoriser une inclusion plus large et équitable dans le monde entrepreneurial.

Vers une approche personnalisée de l’accompagnement entrepreneurial : équilibrer les relations pour favoriser l’autonomie

D’après Bornard et al. (2019), la personnalisation du processus d’accompagnement passe par l’analyse des besoins de l’entrepreneur. Cette approche met de côté l’objectif conventionnel de la création d’entreprise pour se concentrer sur les besoins et les ressources de l’entrepreneur lui-même. En adoptant cette perspective, l’accompagnateur se transforme en un collaborateur engagé dans la construction progressive du savoir et de l’expertise du porteur de projet, plutôt qu’un simple détenteur de connaissances (Ibid., p.87).

Dans ce type d’accompagnement, la relation traditionnellement asymétrique entre l’accompagnant et l’accompagné tend à s’équilibrer. Alors que le tutorat et le mentoring sont souvent associés à une transmission de connaissances avec l’accompagnateur comme guide (Jaouen, 2022), les méthodes telles que le coaching favorisent une relation plus symétrique. Ici, l’accent est mis sur l’autonomisation de l’entrepreneur et son engagement direct dans le processus décisionnel (Ibid.). De ce fait, l’objectif ultime de l’accompagnement est de favoriser l’autonomie de l’entrepreneur dans ses choix professionnels et personnels, ce qui conduit à une relation plus équilibrée et efficace.

Les nouvelles frontières de l’accompagnement entrepreneurial : des perspectives ludiques et holistiques

Le développement d’un accompagnement entrepreneurial personnalisé a engendré l’émergence de nouvelles pratiques à destination des entrepreneurs accompagnés. Parmi celles-ci, on trouve des approches peu conventionnelles, telles que la gamification et les serious games, ainsi que des événements interactifs qui apportent une dimension ludique à l’accompagnement (Bornard et al., 2019).

Parallèlement, alors que les compétences entrepreneuriales incluent à la fois des hard skills et des soft skills, l’attention de l’accompagnement entrepreneurial se tourne de plus en plus vers les soft outcomes. Ces derniers, définis par des indicateurs tels que le développement de l’estime de soi, le respect d’autrui, l’introspection, la motivation, l’initiative et l’action collective, se distinguent des soft skills en introduisant la notion de progression souhaitée (Bibeau & Meilleur, 2022, p.69-70).

En se focalisant sur les changements induits chez l’entrepreneur grâce à l’accompagnement, les soft outcomes s’appuient sur le concept de « distance travelled » ou distance parcourue, symbolisant le chemin d’apprentissage réalisé par l’entrepreneur pour atteindre ses objectifs personnels (Ibid.). Ainsi, l’accompagnement entrepreneurial évolue au-delà de la simple transmission de connaissances standardisées axées sur le business, pour se concentrer sur une relation de confiance développant l’autonomie de l’entrepreneur dans son projet de vie.

Article rédigé par Dr Narcis Heraclide, responsable de la recherche

Bibliographie

Bibeau, J., & Meilleur, R. (2022). Pédagogie de l’accompagnement entrepreneurial (2) : vers une performance bienveillante et négociée. Entreprendre & Innover, n° 52(1), 66–76. https://doi.org/10.3917/entin.052.0066

Bornard, F., Frugier, D., Michel, D.-A., & Toutain, O. (2019). Accompagnement entrepreneurial : le point de bascule. Entreprendre & Innover, n°40(1), 77. https://doi.org/10.3917/entin.040.0077

Degeorge, J.-M. (2017). De la diversité du processus d’accompagnement entrepreneurial vers une meilleure complémentarité. Revue de l’Entrepreneuriat, Vol. 16(2), 7–15. https://doi.org/10.3917/entre.162.0007

Jaouen, A. (2022). Le coaching d’entrepreneur : réflexions théoriques et perspectives pour l’accompagnement. Revue de l’Entrepreneuriat, Vol. 21(1), 65–92. https://doi.org/10.3917/entre1.pr.0013

Messeghem, K., Sammut, S., Chabaud, D., Carrier, C., & Thurik, R. (2013). L’accompagnement entrepreneurial, une industrie en quête de leviers de performance ? Management International, 17(3), 65. https://doi.org/10.7202/1018267ar

Messeghem, K., Sammut, S., Temri, L., & St-Jean, É. (2020). Les mutations de l’accompagnement entrepreneurial. Revue Francaise de Gestion (Vol. 286, Issue 1, pp. 59–67). Lavoisier. https://doi.org/10.3166/rfg.2020.00417

Richomme-Huet, K., & d’Andria, A. (2013). L’accompagnement entrepreneurial par et pour les mampreneurs. Management International, 17(3), 100–111. https://doi.org/10.7202/1018270ar