De l’accessibilité à l’innovation : pourquoi adopter la conception universelle ?

En 2021, lors de ses observations finales sur le rapport de la France, le Comité des personnes handicapées de l’ONU se disait préoccupé par “le manque de sensibilisation des employeurs et leur réticence à procéder à des aménagements raisonnables et à appliquer le principe de la conception universelle”. Si nous avons déjà abordé la question des aménagements raisonnables lors d’un précédent article, la conception universelle s’avère être une approche indispensable pour favoriser l’inclusion des travailleurs en situation de handicap. 

Accessibilité universelle, design universel… de quoi parle-t-on ? 

La “conception universelle” est une traduction littérale du terme anglais “universal design”, défini par l’architecte américain Ronald Mace. En France, ce concept a gagné en popularité dans les 5 dernières années sous le terme “accessibilité universelle”, notamment à travers les enjeux d’inclusion soulevés par les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Touché par la polio dans son enfance, Ronald Mace doit utiliser un fauteuil roulant pour se déplacer, ce qui le confronte directement aux insuffisances d’accessibilité de l’environnement physique, notamment lors de ses études d’architecture. Par la suite, il pose les principes fondateurs de la conception universelle, afin de concevoir des espaces, des produits et des services accessibles à toutes et tous, quelque soit nos capacités physiques (Mace, 1985). 

La conception universelle se fonde sur 7 grands principes directeurs, qui sont (Peyrard & Chamaret, 2020) : 

  • 1. Une utilisation égalitaire : toute personne peut utiliser le produit, sans être stigmatisé en raison de ses caractéristiques personnelles ;
  • 2. Une flexibilité d’utilisation : la manière d’utiliser le produit s’adapte à chaque personne (par exemple, une personne aveugle peut accéder au produit grâce à l’audio et une personne sourde grâce à la vue) ; 
  • 3. Une utilisation simple et intuitive : le produit est compris par l’utilisateur dès la première utilisation ;
  • 4. Une information perceptible : tout ce qui est nécessaire pour bien comprendre le produit est accessible facilement par toutes et tous ; 
  • 5. Une tolérance pour l’erreur : le produit est conçu de manière à ce que l’utilisateur se rende rapidement compte de sa mauvaise utilisation, sans entraîner de conséquence dangereuse ;
  • 6. Un effort physique minimal : aucun prérequis de conditions physiques n’est nécessaire pour utiliser le produit ; 
  • 7. Des dimensions et un espace libre pour l’approche et l’utilisation : assis ou debout, l’utilisateur accède facilement au produit. 

Ainsi, la conception universelle ne concerne pas uniquement les personnes en situation de handicap, mais son application permet de résoudre les éventuelles barrières d’accès auxquelles elles peuvent être confrontées. 

La conception universelle comme stratégie commerciale 

Les principes développés par la conception universelle s’adressent prioritairement aux services publics et aux entreprises afin que ceux-ci intègrent la diversité des capacités humaines dès la phase de conception de leur produit ou de leur service. Cependant, l’obligation légale n’est pas la seule solution pour démocratiser la conception universelle. En effet, des arguments purement commerciaux peuvent également être avancés, comme l’ouverture de nouvelles parts de marché pour les entreprises (Mace et al., 1991). En effet, en concevant des produits nativement accessibles et utilisables par l’ensemble de la population, les entreprises pourraient théoriquement gagner une clientèle représentant 20% de la population totale, tout en se préparant au vieillissement démographique. Cette stratégie est par exemple celle adoptée par Apple, avec l’intégration d’un lecteur d’écran intégré de manière native aux iPhones, rendant ses produits indispensables aux personnes aveugles et malvoyantes (Miskin et al., 2021).  

Co-concevoir pour mieux innover

La conception universelle peut donc être un moteur à l’innovation, mais son application est exigeante pour l’entreprise. En effet, il peut-être difficile de dépasser une approche partielle de l’accessibilité, où seulement certaines capacités sont prises en compte. Par exemple, un produit peut être conçu de manière à être accessible aux personnes non-voyantes, mais inaccessible aux personnes sourdes. C’est pourquoi, pour développer une approche prenant en compte la diversité des capacités possibles, Peyrard & Chamaret (2020) recommandent d’adopter une démarche de co-conception inclusive. Il s’agit de faire participer des personnes en situation de handicap à la conception du produit de l’entreprise. Si l’intérêt premier est évident, c’est-à-dire prendre en compte le handicap de la personne dans la conception, les auteurs ont observé à travers l’étude de trois cas concrets – une borne de remise de chèques, un photocopieur et un jeu vidéo de rééducation motrice – que les participants en situation de handicap étaient attentifs à des limites d’utilisation du produit allant au-delà de leur situation personnelle.  

Image avec plusieurs panneaux qui indique les différentes formes de handicap.

Les défis de la co-conception

La mise en œuvre de la co-conception avec des personnes en situation de handicap présente cependant des défis spécifiques. Les concepteurs doivent impérativement prendre en compte l’acceptabilité sociale des produits : un dispositif, même techniquement accessible, risque d’être rejeté s’il rend trop visible le handicap de l’utilisateur. Par ailleurs, ils doivent réaliser les tests dans des conditions réalistes, sans intervenir de manière excessive, afin de ne pas fausser les résultats. Enfin, l’efficacité de cette approche dépend de l’implication précoce des utilisateurs, qui peuvent ainsi identifier des obstacles souvent invisibles aux concepteurs.

Ces recommandations ouvrent la voie à une innovation plus inclusive, où la co-conception avec des personnes en situation de handicap devient un levier stratégique pour améliorer l’expérience utilisateur de tous. Cette vision est partagée par Bennett (2017), qui nous invite à “réimaginer le futur de l’innovation en développant des produits technologiques par la conception universelle, afin […] d’étendre et de transformer nos capacités humaines actuelles. Ce n’est qu’alors que nous verrons un avenir plus inclusif, où le « in » sera supprimé du mot “incapacité”. Les produits issus de la conception universelle […] bénéficieraient et aideraient de la même manière les personnes handicapées et non handicapées” (Ibid., p.88).

Conclusion : l’accessibilité universelle à décliner pour l’accompagnement des TIH ?

La conception universelle appliquée aux produits et services a démontré son efficacité pour améliorer l’accessibilité et répondre à une diversité de besoins. Mais comment transposer ces principes à l’accompagnement des Travailleurs Indépendants Handicapés (TIH) ? Car leurs besoins varient selon leur handicap, leur secteur d’activité et leur parcours personnel. Dans le domaine de la formation, la conception universelle de l’apprentissage cherche à concilier accessibilité et personnalisation (Alvarez, 2024), un défi qui se retrouve dans l’accompagnement des TIH. D’un côté, les acteurs de l’accompagnement doivent proposer des dispositifs de soutien adaptés à la diversité des profils.. De l’autre, il faut éviter une approche trop fragmentée qui risquerait de complexifier l’accès aux ressources et de limiter les opportunités. L’enjeu est donc de trouver un équilibre entre une standardisation des bonnes pratiques pour garantir l’égalité des chances et une flexibilité suffisante pour s’adapter aux besoins spécifiques de chaque TIH. La conception universelle de l’accompagnement cherche à trouver un équilibre subtil entre standardisation et personnalisation, inclusion et adaptation, afin d’offrir à chaque travailleur indépendant en situation de handicap un soutien efficace, sans l’enfermer dans une solution rigide ou inadaptée.

Article rédigé par Dr Narcis Heraclide, responsable R&D.

Bibliographie : 

Alvarez, L. (2024). La conception universelle de l’apprentissage: D’une vision partagée aux pratiques plurielles, en passant par ses défis. Revue Suisse De pédagogie spécialisée, 14(03), 2–9. https://doi.org/10.57161/r2024-03-01

Bennett, D. D. (2017). Scientific eventuality or science fiction: The future of people with

different abilities. Futures, 87, 83–90. https://doi.org/10.1016/j.futures.2016.07.003

MACE, R. (1985). “Universal Design : Barrier Free Environments for Everyone.” Designers West, 33(1), pp. 147-52.

Mace, R., Hardie, G., & Place, J. (1991). Accessible Environments: Toward Universal Design. Center for Accessible Housing North Carolina State University.

Miskin, H., Silberlust, J., Blondet, Z., Lares, G., Mandi, D., & Silverman, M. (2021). Blind rehabilitation programs teach iPhone and iPad use to improve independence in Veterans with low vision or blindness. British Journal of Visual Impairment, 41(1), 121-129. https://doi.org/10.1177/02646196211026708

Peyrard, E., & Chamaret, C. (2020). Concevoir pour tous, mais avec qui ? Trois cas de co-conception avec des personnes en situation de handicap. Annales Des Mines – Gérer et Comprendre, N° 141(3), 57–70. https://doi.org/10.3917/geco1.141.0057


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