Innovation sociale et ESS : le rôle de la R&D pour transformer les pratiques et répondre aux défis sociaux

Linklusion, entreprise du secteur de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS), s’appuie sur des procédés d’innovation sociale pour développer des services utiles au Travailleurs Indépendants Handicapés (TIH). Ce travail d’innovation sociale s’appuie notamment sur un service de R&D, dont vous pouvez découvrir les tenants et les aboutissants en réécoutant notre webinaire à ce sujet. Pour continuer cette discussion, nous vous proposons d’explorer plus en détail le concept d’innovation sociale grâce à la littérature scientifique.  

Aux origines du concept d’innovation sociale : la recherche & développement comme fer de lance de l’innovation

Le terme d’innovation sociale est mobilisé depuis les années 1970 par des chercheurs en sciences sociales (Richez-Battesti et al., 2012). L’innovation sociale y est vue comme une réponse aux mouvements sociaux, afin d’expérimenter de nouvelles pratiques “qui participent à la transformation des rapports sociaux (de production, de consommation, mais aussi de genre et de classe)” (Ibid., p.22). Cette relation entre recherche et innovation se développe à partir de la fin de la seconde guerre mondiale, avec des politiques scientifiques et des modèles d’évaluation de l’impact des technologies et des sciences (Dandurand, 2005). 

L’association entre recherche et innovation est notamment poussée par l’OCDE, avec par exemple le manuel de Frascati qui définit les contours de la recherche et développement (R&D). Une nouvelle dynamique dans les procédés d’innovation apparaît, avec d’un côté des producteurs de connaissances et, de l’autre, des utilisateurs de ces connaissances, “où la recherche s’inscrit non seulement dans une logique économique — qui renvoie aux besoins du marché — mais également dans une logique sociale, qui s’articule autour des préoccupations de la société” (Ibid., p.378). 

Les parties prenantes de l’innovation sociale : entre société civile, chercheurs et politique publique 

L’innovation ne se limite donc pas au secteur de l’industrie. Dandurand (2005) distingue d’ailleurs l’innovation sociale de l’innovation technologique en insistant sur leurs milieux d’origine. L’innovation sociale émerge souvent des initiatives citoyennes et des retombées des sciences humaines et sociales. Elle implique une pluralité d’acteurs, issus de la société civile, du milieu politique, de l’administration publique et de la recherche.

Ces acteurs jouent des rôles complémentaires : les acteurs de la société civile identifient les problèmes émergents et interviennent dans la mise en place de solutions, les politiques publiques disposent des moyens et de la légitimité pour agir, et la recherche en sciences sociales permet de prendre du recul sur les problématiques rencontrées et d’y apporter des réponses avant-gardistes. 

De manière notable, la littérature note que les gouvernements et les organisations internationales mobilisent l’innovation sociale “comme le fondement de la rénovation des politiques sociales” (Richez-Battesti et al., 2012, p.17). Dans un contexte de réduction du rôle de l’État comme producteur direct de services, l’innovation sociale est perçue comme un moyen de combler les lacunes de l’intervention publique et de répondre aux impératifs d’efficience et de compétitivité, au risque parfois de désengager les services publics de certains sujets sociaux.

Une personne clique sur un bouton avec marqué R&D qui illustre notre article sur l'innovation sociale et ESS
Illustration qui représente un groupe d'entrepreneurs travaillant ensemble sur un document professionnel.
Des livres ouverts sont empilés les uns sur les autres.

Le secteur de l’ESS comme moteur d’innovations sociales

En France, l’article 15 de la loi de 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (ESS) conçoit les structures de ce secteur comme jouant un rôle central dans l’innovation sociale, afin de produire des réponses efficaces aux besoins sociaux non ou mal satisfaits par l’État ou le marché traditionnel. L’ESS se distingue alors par sa capacité à détecter ces besoins et à mobiliser des ressources marchandes et non marchandes pour y répondre (Béji-Bécheur & Bonnemaizon, 2023). Par exemple, les acteurs de l’ESS proposent des solutions concrètes à des enjeux contemporains tels que l’accès à l’emploi durable, l’alimentation de qualité, ou la mobilité inclusive et solidaire (Palluault & Douchet, 2022).

Historiquement, l’ESS a été un moteur de l’innovation sociale en expérimentant de nouvelles formes de réponses économiques et sociales, souvent en lien avec les luttes sociales. Ces innovations ne se limitent pas à des réajustements organisationnels, mais cherchent également à transformer les normes et institutions en place (Richez-Battesti et al., 2012). Ainsi, l’ESS contribue à une modernisation de l’action sociale en promouvant des innovations qui dépassent les structures organisationnelles, s’ancrant dans une vision plus large d’une société démocratique et équitable (Idem). Comme le notent également Palluault & Douchet (2022), certains acteurs de l’ESS s’inscrivent dans une dynamique émergente de “transformation sociale fondée sur le partage de la valeur, la gouvernance démocratique et le dépassement d’un modèle capitaliste financiarisé” (p.79) ; les auteurs parlent alors d’innovation sociale de rupture. 

La R&D sociale : produire des innovations sociales durables 

Par définition, les structures de l’ESS sont innovantes, car elles doivent trouver des solutions nouvelles pour répondre de manière durable aux défis que ni l’État ni le marché ne prennent en charge (Levillain et al., 2016). Cependant, les structures de l’ESS sont confrontées à des contraintes économiques et organisationnelles qui rendent l’innovation plus complexe que dans les entreprises classiques. En effet, elles doivent souvent collaborer avec des acteurs publics, privés, lucratifs et non lucratifs, aux motivations variées, ce qui rend la coopération et la recherche de solutions plus difficiles, surtout lorsque les ressources sont limitées et que les incitations économiques sont faibles. La clé du succès réside dans la capacité de ces structures à formuler une mission sociale claire et en rupture avec les approches traditionnelles de l’enjeu abordé, afin d’engager ses collaborateurs et ses parties prenantes vers de nouvelles pratiques (Levillain et al., 2016).

Un levier d’innovation sociale complémentaire au sein des organisations sociales et solidaires est l’implémentation en leur sein d’une véritable fonction de R&D sociale.

Cette R&D sociale permet aux acteurs de terrain d’intégrer des démarches scientifiques pour expérimenter et évaluer leurs initiatives. Elle s’appuie sur la production de nouvelles connaissances, souvent issues des sciences humaines et sociales, pour apporter des changements radicaux dans la manière de traiter les problèmes sociaux (Palluault & Douchet, 2022). Des initiatives, comme celles menées par Ellyx et le programme Destins, cherchent à intégrer les outils traditionnels de financement de la R&D comme le Crédit d’Impôt Recherche (CIR) généralement mobilisés par les acteurs industriels, à des démarches de R&D sociale. Ces dernières participent à la reconnaissance de l’innovation sociale au sein du système national d’innovation chapeauté par les ministères de l’Enseignement supérieur et de l’Économie (Idem).

Conclusion

Après cette présentation des enjeux abordés par la littérature scientifique autour du concept d’innovation sociale, nous vous invitons à écouter le replay du webinaire organisé sur le thème de la recherche et de l’innovation sociale dans l’ESS. Le webinaire aborde les perspectives d’entrepreneurs sociaux sur l’incorporation d’un service de R&D au sein de leur structure, le financement d’une telle démarche et les pratiques concrètes des chercheurs. Bon visionnage ! 

Article rédigé par Dr Narcis Heraclide, responsable R&D.

Références

Béji-Bécheur, A., & Bonnemaizon, A. (2023). L’innovation sociale au service des transitions écologiques et sociales. Décisions Marketing, N° 108(4), 5–14. https://doi.org/10.3917/dm.108.0005

Dandurand, L. (2005). Réflexion autour du concept d’innovation sociale, approche historique et comparative. Revue Française d’administration Publique, 115, 377–382.

Levillain, K., Agogué, M., & Berthet, E. T. (2016). Innovation sociale et innovation radicale sont-elles contradictoires ? L’enjeu de formuler une mission sociale commune et générative. Revue Française de Gestion, 255(2), 41–55. https://doi.org/10.3166/rfg.2016.00021

Palluault, O., & Douchet, L. (2022). Accompagner et former à l’innovation sociale de rupture : Les enjeux d’une R&D sociale. Education Permanente, 233(4).

Richez-Battesti, N., Petrella, F., & Vallade, D. (2012). L’innovation sociale, une notion aux usages pluriels: Quels enjeux et défis pour L’analyse ? Innovations, 38(2), 15–36. https://doi.org/10.3917/inno.038.0015 


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