Révéler son handicap au travail : enjeux d’un “coming out” institutionnalisé


Le terme “coming out” est couramment utilisé pour désigner l’acte de révéler son orientation sexuelle ou son identité de genre à son entourage lorsqu’on est une personne LGBT. En bon français, on parle également de “sortir du placard” ou, moins familièrement, de dévoilement ou de révélation. Sans faire d’équivalence stricte, les personnes en situation de handicap vivent également des actes de dévoilement, notamment dans leur vie professionnelle. Si la littérature scientifique aborde régulièrement ce sujet pour les travailleurs handicapés, il n’existe aucune donnée concernant le dévoilement du handicap chez les Travailleur Indépendant Handicapé (T.I.H.)…En attendant d’avoir les retours des TIH suite au questionnaire envoyé en novembre 2025, explorons ce que nous savons déjà sur le dévoilement du handicap dans un contexte professionnel…
En France, l’enjeu du dévoilement du handicap dans un contexte professionnel est intrinsèquement lié à la loi de 2005 et au quota des 6% de travailleurs handicapés imposé aux entreprises. D’un côté, les employeurs sont incités à recenser leurs employés disposant d’une RQTH pour pouvoir les comptabiliser dans le calcul de leurs effectifs et éviter ainsi les pénalités potentielles en cas de non-respect des 6%. De l’autre, les salariés en situation de handicap sont fortement invités à disposer d’une RQTH et à la faire valoir pour obtenir des aménagements raisonnables (Richard & Barth, 2017). Le dévoilement du handicap devient donc un double enjeu, qui se cristallise autour de la reconnaissance administrative du handicap. Notons, par exemple, que la mise en place d’aménagements raisonnables n’est pas dépendante, d’un point de vue légal, de la présence d’une RQTH chez le salarié concerné. Pourtant, en pratique, il est rare que les employeurs acceptent de modifier les conditions de travail du salarié en raison de sa situation de handicap sans que ce dernier ne possède une RQTH (Bouchet & Revillard, 2023).
La question qui se pose alors est le moment de la révélation du handicap dans la relation employeur/employé. Les travailleurs handicapés peuvent mentionner leur RQTH dès la recherche d’emploi, en l’indiquant par exemple sur le CV. Au moment de l’entretien d’embauche, la situation diffère selon la visibilité du handicap : pour les personnes ayant un handicap “visible”, la question de la RQTH pourra être abordée par l’employeur lui-même, alors que dans le cas d’un handicap invisible ce sera le plus souvent au candidat à l’emploi d’évoquer ou non son handicap (Bouchet & Revillard, 2023). Segon (2021) différencie d’ailleurs deux stratégies principales de dévoilement du handicap :
Le registre « affirmatif » est souvent le fait de travailleurs ayant une bonne connaissance du monde du handicap, dont le handicap est ancien, « visible » et lié à des limitations motrices ou sensorielles. Ils utilisent la RQTH comme un dispositif de « captation » pour attirer les employeurs souhaitant répondre à l’obligation d’emploi de 6% de travailleurs handicapés, mais également éloigner ceux peu avancés sur les enjeux d’accessibilité et d’aménagements raisonnables.
Le registre « timoré », quant à lui, concerne des travailleurs ayant des limitations de capacités plus récentes, souvent liées à des maladies et perçues comme « invisibles ». Ils dévoilent la RQTH plus tardivement, principalement pour justifier des besoins spécifiques (temps partiel, absences) et faire valoir leurs compétences au préalable. L’expérience du handicap apparaît comme un facteur plus déterminant que le niveau d’études ou le type d’emploi pour expliquer la stratégie du dévoilement du handicap mobilisée par le travailleur.
Cette différence dans l’expérience du handicap se retrouve également dans les typologies du handicap (Bouchet & Revillard, 2023). Ainsi, les personnes avec un handicap moteur ou un déficience visuelle utilisent souvent le registre affirmatif, car la demande de RQTH est perçue comme une démarche quasi-incontournable, un « renouvellement » administratif, souvent initiée par les parents dès l’enfance ou sur injonction d’employeurs ou d’organismes de formation. A l’inverse, chez les travailleurs ayant des troubles “dys” ou psychiques, la RQTH est l’exception, souvent non demandée. Ces personnes expriment une forte réticence à être catégorisées comme « handicapées », percevant l’étiquette comme dévalorisante. La demande n’est envisagée qu’en cas de circonstances critiques, notamment pour justifier des besoins d’aménagements spécifiques. A noter qu’on peut s’étonner de l’absence de mention des handicaps considérés comme honteux par les propres concernés dans la littérature scientifique, comme la maladie de Crohn par exemple, qui peuvent compliquer le dévoilement du handicap en contexte professionnel.
Le dévoilement du handicap peut donc être limité par les croyances personnelles du travailleur handicapé, qui ne se considère pas légitime pour demander la RQTH, soit parce qu’il ne sent pas “vraiment” ou “assez” handicapé, ou bien parce qu’il ne souhaite pas participer au système de quota, de peur d’être recruté pour cette seule raison. Enfin, les bénéfices de la révélation du handicap, notamment l’obtention d’aménagements spécifiques, peuvent être mal appréhendés par l’employé en situation de handicap, souvent lorsque celui-ci est peu informé sur la compensation du handicap (Bouchet & Revillard, 2023).
Il existe également des répercussions négatives au dévoilement du handicap, qui peuvent conforter d’autant plus les craintes des personnes réticentes à révéler leur situation de handicap à leur employeur. En effet, les travailleurs handicapés font parfois face à de nombreux stéréotypes sur leurs capacités de travail suite à la révélation du handicap, subissant alors un traitement différencié de la part de leurs collègues et de leur manager, ce qui, tel un cercle vicieux, impacte négativement leur évolution professionnelle (Richard & Barth, 2017).
Comme nous l’avons vu dans cet article, le dévoilement du handicap en contexte professionnel est intrinsèquement lié à la présence d’une RQTH, notamment en raison de l’obligation d’emploi de 6% de personnes handicapées pour les entreprises de plus de 20 salariés. Aussi, si cet enjeu ne se transpose pas directement au cas des TIH, la reconnaissance administrative du handicap reste crucial puisqu’elle est obligatoire pour obtenir le statut de TIH (mais d’autres alternatives à la RQTH sont possibles, comme l’AAH ou une pension d’invalidité). Or, le statut TIH d’un prestataire permet à l’entreprise cliente de déduire 30% du coût de la prestation de la contribution financière requise par l’AGEFIPH en cas du non-respect des 6%.
En outre, tout comme les travailleurs handicapés, les TIH peuvent se questionner sur le besoin de révéler leur situation de handicap afin d’obtenir des aménagements de la part de leurs clients. La révélation du handicap peut aussi avoir pour fonction de lever tout malentendu si le TIH a une posture professionnelle sortant de l’ordinaire en raison, par exemple, d’un trouble autistique. Finalement, beaucoup de conjectures entourent le sujet du dévoilement du handicap pour les TIH, que nous espérons transformer en affirmations grâce aux réponses de notre questionnaire partagé en novembre 2025 auprès des TIH.
Article rédigé par Dr Narcis Heraclide
Bouchet, C., & Revillard, A. (2023). Une ambivalente reconnaissance : la réception de la « reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé ». Droit et handicap, 2023/1(1), 111–129.
Richard, S., & Barth, I. (2017). Entre attentes et réalités: une analyse des conséquences de la révélation légale du handicap en entreprise. Management & Avenir, 2017/6(96), 15–37.
Segon, M. (2021). Révéler, dévoiler, c’est décidé, je le mets ! Candidater en signalant son statut de « travailleur handicapé ». Formation emploi. Revue française de sciences sociales, (154), 65–86.