Impact de l’accompagnement entrepreneurial des TIH : le chiffre d’affaires suffit-il à mesurer la réussite ?


Comme nous l’avons vu dans un article précédent, l’État mesure l’impact des Entreprises d’Insertion par le Travail Indépendant (EITI), comme le programme des EITI de Linklusion nommé TIH-Booster, grâce à des indicateurs dits « de sortie ». Ceux-ci nous renseignent sur la situation professionnelle des bénéficiaires à la fin de leur accompagnement entrepreneurial. Mais ce type d’indicateur pose problème, car il ne dit rien du chemin parcouru, des transformations profondes vécues par les personnes, ni de leur capacité à construire un avenir professionnel en accord avec leurs aspirations.
Pour interroger ces limitations, nous avons mené à Linklusion une recherche sur la pertinence des indicateurs de sortie pour mesurer l’impact de l’accompagnement de nos EITI. À travers l’examen de 9 trajectoires de TIH accompagnés au sein de TIH Booster, nous avons observé que les effets positifs de l’accompagnement allaient bien au-delà de la situation reflétée par les indicateurs de sortie. Cette recherche a d’ailleurs été évaluée en double aveugle par des chercheurs universitaires, et a bénéficié d’une publication scientifique et d’une communication lors de la XXXIVe conférence annuelle de l’Association internationale de management stratégique (AIMS).
La réflexion initiale de notre recherche s’appuie sur le concept d’anticipation. En effet, selon le philosophe Roberto Poli (2015), le pouvoir d’agir d’une personne est souvent compris comme étant sa capacité à décider pour elle-même dans le présent. Or, d’après lui, pour qu’une personne soit réellement en mesure d’agir selon ses propres aspirations, elle doit aussi pouvoir anticiper afin de favoriser son épanouissement futur. Aussi, si l’on veut évaluer l’impact global des EITI sur les travailleurs indépendants accompagnés, il faut s’intéresser à leur capacité à imaginer, à préparer et à construire leur futur.
Or, les indicateurs actuels ne tiennent pas compte de cette dimension. Ils s’intéressent uniquement à la situation professionnelle immédiate du travailleur indépendant au moment de sa sortie de l’accompagnement : génère-t-il du chiffre d’affaires, est-il retourné à l’emploi salarié, est-il entré en formation professionnelle… ? Ces informations, si elles sont importantes, passent sous silence d’autres aspects de l’accompagnement, comme la confiance en soi retrouvée, le bien-être au travail amélioré ou l’obtention d’aménagements de la situation de handicap nécessaires à la pratique professionnelle.
Notre étude analyse 9 parcours de TIH ayant été accompagnés au sein du programme TIH Booster. Ces 9 accompagnements sont tous terminés et ont tous été évalués par la mesure d’impact des “sorties” : trois des 9 TIH sont sortis du programme en poursuivant leur activité indépendante, deux ont obtenu un CDD/CDI, deux ont continué en suivant une formation professionnelle, et deux sont considérés comme étant en inactivité.
Au-delà de ces catégories administratives, les entretiens réalisés révèlent des histoires humaines complexes, où l’accompagnement a parfois agi comme un levier pour débloquer des situations professionnelles et personnelles problématiques.
En effet, dans plusieurs cas, les accompagnateurs ont aidé les TIH à aménager leur poste de travail ou leur logement, à surmonter des obstacles liés au handicap, ou à reprendre confiance en eux.
Ainsi, de manière évidente, la mesure d’impact actuelle passe sous silence la gestion des situations de handicap dans l’accompagnement proposé par TIH-Booster. Pourtant, les situations de handicap interagissent largement avec l’activité entrepreneuriale des TIH accompagnés. En effet, la situation de handicap peut complexifier les déplacements professionnels, l’utilisation des outils de travail, l’accessibilité du lieu de travail, l’organisation du temps de travail… C’est pourquoi la réussite du projet entrepreneurial est souvent dépendante de la levée ou de la compensation des situations de handicap, en mobilisant les bons partenaires pour trouver des solutions durables (ergothérapeutes, Cap Emploi, AGEFIPH…).
Fort de tous ces constats, nous proposons de repenser la manière d’évaluer l’impact des EITI. Plutôt que de se limiter aux taux de sorties dynamiques, nous suggérons de nous intéresser également à la capacité d’agir des personnes accompagnées sur le long-terme : Ont-elles développé une vision de leur avenir professionnel ? Ont-elles obtenu les ressources nécessaires pour avancer vers leurs objectifs ? Ont-elles acquis des outils pour mobiliser ces ressources dans le temps long ?
Nous proposons d’évaluer l’impact de l’accompagnement à partir de la capacité des travailleurs indépendants à se projeter durablement dans leur projet professionnel et à mobiliser les ressources nécessaires à la réussite de ce projet sur la durée.
Ainsi, trouver des solutions durables aux situations de handicap des travailleurs indépendants en situation de handicap ne serait donc plus un “à côté” de l’accompagnement, mais un impératif pour un impact durable.
Plusieurs mesures d’impact pourraient tout à fait coexister. Si nous complétons les indicateurs de sortie par une mesure d’impact multifactorielle du parcours des travailleurs indépendants, les dispositifs EITI renforceront leur potentiel d’insertion économique des publics fragiles. Nous suggérons également que l’évaluation se renouvelle 1, 2 ou 3 ans après la sortie, pour s’assurer des effets de l’accompagnement sur le long-terme.

Finalement, ce que cette recherche nous pousse à examiner, c’est notre définition de la réussite dans un contexte de réinsertion professionnelle. Réussir, ce n’est pas forcément « trouver un emploi » ou « générer du chiffre d’affaires » à tout prix. Réussir, c’est aussi pouvoir se projeter, agir en accord avec ses aspirations, surmonter des barrières parfois invisibles, et surtout, retrouver le pouvoir de décider de son avenir. En se concentrant sur le développement de la capacité d’agir des personnes accompagnées pour évaluer l’impact des EITI, nous pourrons alors mieux reconnaître et soutenir ces transformations profondes. C’est une invitation à ne plus confondre performance et impact, et une opportunité pour reconnecter avec le volet humain des politiques d’insertion.
Article rédigé par Dr Narcis Heraclide, responsable R&D.
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