A l’occasion des 20 ans de la loi « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » du 11 février 2005, nous vous proposons d’explorer les opportunités et les défis qu’a introduit ce nouveau cadre législatif en France d’après la littérature scientifique…
1. Une loi ambitieuse : vers une nouvelle conception du handicap ?
La loi de 2005 sur le handicap marque une avancée significative dans la conception du handicap en France, en s’éloignant du modèle médical traditionnel pour adopter une approche plus sociale et inclusive. Elle introduit la notion de participation, affirmant ainsi la reconnaissance des différences et des besoins spécifiques des citoyens en situation de handicap (Richard & Barth, 2015). Cette loi se distingue également par l’intégration officielle du handicap psychique, auparavant absent du cadre juridique, ce qui traduit une évolution dans la perception du handicap et un élargissement des droits des personnes concernées. Inspirée par l’Americans with Disabilities Act (ADA) introduit en 1990 aux États-Unis, elle vise à garantir l’égalité des droits et des chances, notamment en matière d’accessibilité, de lutte contre les discriminations et de compensation des situations de handicap (Baudot, 2022).
L’accessibilité devient ainsi un principe central de l’action publique en matière de handicap, réaffirmant une obligation déjà évoquée dans la loi de 1975 mais rarement appliquée (Bodin & Douat, 2023). La loi de 2005 ambitionne de dépasser les simples aménagements ponctuels pour construire un environnement globalement inclusif, réduisant les obstacles qui limitent la participation des personnes handicapées à la société. Ce changement de paradigme, porté par les débats parlementaires de l’époque, consacre l’idée que le handicap résulte en grande partie des barrières environnementales et sociales, plutôt que d’une déficience individuelle, démocratisant ainsi le terme de “situation de handicap”. Dès lors, la mise en accessibilité des espaces publics et des services devient un enjeu majeur, témoignant d’une évolution vers une approche situationnelle du handicap.
2. Une stratégie pour l’emploi des personnes handicapées à double tranchant
La loi de 2005 avait également pour ambition l’amélioration de l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap, notamment via le renforcement de l’OETH. En effet, si les 6% d’emplois réservés étaient déjà présents dans la loi de 1987, la loi de 2005 étend cette obligation d’emploi à la fonction publique et renforce les sanctions financières en cas de non-respect. Cependant, comme le notaient déjà Point et al. (2010), nombre d’organisations adoptent une approche purement instrumentale de l’OETH, considérant la loi comme une contrainte à gérer plutôt qu’une opportunité d’inclusion. Ces entreprises se limitent ainsi au respect du quota des 6%, sans véritable démarche d’inclusion pour leurs employés handicapés. D’autres entreprises refusent même de répondre à l’obligation légale, préférant payer la contribution financière, quand d’autres ne savent pas par où commencer pour augmenter leur embauche de travailleurs handicapés.
Toutefois, malgré ces limites, l’obligation d’emploi imposée par la loi représente aussi une opportunité d’évolution des mentalités dans le monde du travail. Par exemple, certaines entreprises françaises adoptent une démarche proactive. Plutôt que de subir la contrainte légale, elles développent des politiques d’inclusion dépassant le strict respect des 6%, contribuant ainsi à une meilleure reconnaissance des compétences des travailleurs handicapés et à une transformation des pratiques managériales (Point et al., 2010). Cette double lecture de la loi souligne ainsi son caractère ambivalent : si elle peut être réduite à un simple mécanisme de conformité, elle offre aussi un potentiel transformationnel vers des futurs inclusifs (Heraclide, 2023).



3. Les limites surprenantes d’une politique axée sur l’accessibilité
Par ailleurs, si l’on peut se féliciter de la politique d’accessibilité instaurée par la loi de 2005, celle-ci repose sur une approche essentiellement matérielle, visant à adapter l’environnement aux besoins fonctionnels des personnes en situation de handicap. Or, comme le soulignent Bodin et Douat (2023), la vie sociale implique des interactions et des dynamiques collectives, qui ne peuvent être pleinement prises en compte par une simple transformation de l’espace physique. Les auteurs citent l’exemple d’un homme aveugle pouvant naviguer sans difficulté au sein de son quartier, dont l’environnement architectural a été rendu accessible. Pour autant, cela ne l’empêche pas de se retrouver dans des situations dérangeantes à cause d’un manque d’accessibilité “sociale”. Il lui arrive notamment de s’arrêter à pied pour consulter son téléphone, sans se rendre compte qu’il stationne à moins d’un mètre d’une table de personnes buvant leur café à la terrasse d’un bistrot – les commentaires de désapprobation des clients lui faisant comprendre l’incongruité sociale de son comportement.
Par ailleurs, au-delà des limites conceptuelles de cette politique, son application effective demeure largement insuffisante. Comme le souligne Devers (2021), la France ne respecte pas pleinement les principes du droit des personnes handicapées en matière d’accessibilité. Malgré une réglementation présentée comme contraignante, celle-ci a été progressivement assouplie depuis 2005, et les adaptations promises restent souvent inadaptées ou inachevées. Cette situation est dénoncée par de nombreuses associations et institutions, comme le Défenseur des droits et la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui rappellent l’écart entre les engagements pris et la réalité de terrain. Par exemple, le handicap est encore en 2023 le motif principal des saisines en matière de discrimination auprès du Défenseur des droits. Ainsi, la loi de 2005, malgré ses ambitions, peine à transformer en profondeur la société.
4. Une définition du handicap en débat
Ces limites rencontrées par la loi de 2005 pourraient s’expliquer par une définition du handicap ne respectant pas les normes internationales, et notamment la CIDPH. En effet, la législation française continue d’identifier le handicap comme étant essentiellement lié aux déficiences et incapacités individuelles (Devers, 2021) :
“Toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant”
La loi de 2005, bien qu’ambitieuse dans son objectif d’égalité des droits, reste marquée par une vision qui assimile la reconnaissance du handicap à des critères biomédicaux, sans pleinement intégrer les obstacles sociaux et matériels qui conditionnent l’insertion des personnes concernées. Cette conception restrictive entraîne également des difficultés d’application et de reconnaissance du handicap sur le terrain. Comme le souligne Baudot (2022), l’interprétation de la définition du handicap varie selon les départements et les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), rendant la reconnaissance de certaines pathologies comme le diabète ou les troubles « dys » incertaine et inégale. Par ailleurs, l’absence d’une approche harmonisée nuit à la production de statistiques fiables et comparables au niveau national et international (Devers, 2021). Ce manque de coordination empêche une évaluation claire des besoins et une adaptation efficace des politiques publiques, freinant ainsi la mise en place d’une véritable société inclusive.
Conclusion
La loi de 2005 constitue un tournant important vers une approche plus inclusive du handicap en France, en intégrant certains principes issus des conventions internationales. Toutefois, cette transformation reste inachevée. Comme le souligne Baudot (2022), la nouvelle perspective du handicap axée sur l’inclusion s’est superposée aux anciens dispositifs issus du modèle médical, sans les remplacer.
En conséquence, malgré les progrès réalisés, le modèle médical du handicap reste ancré dans certaines pratiques. C’est d’ailleurs le cœur du rapport de l’ONU de 2021 sur la situation des droits des personnes handicapées en France, qui critique copieusement une approche médicale et paternaliste des politiques du handicap. Ainsi, bien que la loi de 2005 ait marqué une avancée vers une reconnaissance des droits des personnes handicapées, elle reste tributaire d’une conception traditionnelle qui freine l’évolution vers un modèle pleinement inclusif. Pour dépasser ces limites, l’ONU propose une solution pragmatique, qui mérite d’être explorée 20 ans après l’adoption de la dernière grande loi française sur le handicap : l’harmonisation complète du cadre juridique français avec la CIDPH de l’ONU.
Article rédigé par Dr Narcis Heraclide, responsable R&D.
Bibliographie :
Baudot, P. (2022). Les politiques du handicap. Dans Giraud, O. et Perrier, G. (dir.), Politiques sociales : l’état des savoirs. ( p. 97 -114 ). La Découverte. https://doi.org/10.3917/dec.girau.2022.01.0097.
Bodin R., Douat E. (2023). Une accessibilité bien ordonnée. Les politiques du handicap comme instrument de statu quo social, Déviance et Société, 47, 1, 35-63 | doi : 10.3917/ds.471.0035
Devers, G. (2021). Handicap : la France viole les principes du droit des personnes handicapées. Droit, Deontologie et Soin, 21(4), 540–549. https://doi.org/10.1016/j.ddes.2021.10.025
Heraclide, N. (2023). Capacité de transformation des organisations vers des futurs inclusifs et temporalités organisationnelles : de l’aménagement raisonnable à l’aménagement durable. (Thèse de doctorat, Université de Poitiers). https://theses.fr/s276992
Point, S., Charles-Fontaine, C., & Berthélemé, G. (2010). (Re)considérer le handicap : regards croisés sur les approches en entreprise. Management & Avenir, 38(8), 293. https://doi.org/10.3917/mav.038.0293
Richard, S., & Barth, I. (2015). Handicap et emploi : Une comparaison France – Etats-Unis. RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme(s) & Entreprise, 15(1), 23. https://doi.org/10.3917/rimhe.015.0023
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